Connue comme l’une des plus grandes voix féminines de la chanson camerounaise, incontestable figure emblématique depuis les années 50, Anne-Marie Nzié reste de toute évidence « la voix d’or du Cameroun ». Née à Bibia par Lolodorf en 1932, de son vrai nom Anne-Marie Mvunga Nzie, elle est la fille d’un pasteur et joueur de Mvet ( instrument à cordes retrouvé majoritairement dans la région du Centre au Cameroun). Elle intègre la chorale âgée de 8ans. Son prénom Anne-Marie lui est donné en hommage à l’épouse du docteur missionnaire Lehmann qui avait payé la dot de sa maman afin que les futurs parents de la chanteuse puissent vivre leur amour.
LES PRÉMICES D’UNE ÉTOILE EN DEVENIR
A l’âge de 10 ans, la petite Anne-Marie fait une chute du haut d’un arbre, ce qui la paralyse durant une bonne partie de son adolescence. C’est durant ce long séjour à l’hôpital que la jeune fille se fait la promesse de chanter jusqu’à sa mort. Avec l’appui de son frère aîné Cromwell, elle apprend à jouer de la guitare et dès sa sortie de l’hôpital, elle débutera sa carrière aux côtés de ce dernier. Toutefois, leur aventure ensemble sera de courte durée lorsque la jeune artiste constate que son aîné se fait énormément de sous sur son dos. Elle décide alors de se lancer seule et se fait remarquer lors d’un concours de guitare à Yaoundé. Devenue la coqueluche des brasseries, elle enchaîne les prestations de chant accompagnées de sa guitare qu’elle manie de ses propres doigts. Vu qu’à cette époque la majorité des musiciennes s’exprimaient plus au chant, sa guitare lui était donc un atout de grande envergure.
L’ÉPOPÉE DE LA DIVA DU BIKUTSI
Après son union à un musicien, sa carrière décolle lorsque ce dernier devient un appui de qualité qui permettra à « la diva » d’enregistrer sous le label Oprika la chanson « Malundi », qui sera très bien accueilli par les mélomanes. Élan donné, la course est lancée avec le titre « Ma ba nze » en 1954. Avec ce classique qui fait vibrer les cœurs jusqu’à nos jours, Anne-Marie Nzié entame une collaboration discographique importante avec l’auteur compositeur et pianiste français Gilbert Bécaud en 1958. Emblématique collaboration qui fera de la chanteuse une étoile à l’Olympia et lui permettra de participer à la campagne mondiale de lutte contre la faim sous l’invitation de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1962.
C’est en 1965 que la « maman » et « reine mère » du bikutsi revient aux côtés de Stéphane Ndi qui réalise son album Éponyme. On la verra sur plusieurs scènes telles que, le Premier Festival Panafricain d’Alger (PANAF 1969) où elle partage la scène avec Miriam Makeba, ou encore la 2e édition du Festival des Arts et de la Culture nègres ( FESTAC 1977).
En 1979 , elle est appelée par son gouvernement à enseigner le chant au sein de l’orchestre National camerounais.
Le coup de maître est frappé à la sortie de l’illustre titre « liberté » en 1984, sous la direction de Eko Roosevelt, figure importante de la musique camerounaise. « Liberté » connaît un succès explosif et devient la chanson phare lors des élections présidentielles de 1992. La chronique s’empare encore plus du phénomène « liberté » lorsque la chanteuse exprime son mécontentement face à l’appropriation de son chef d’œuvre comme hymne par les leaders d’opposition. Son succès est tel qu’en 1990, le journaliste David Ndachi Tagni lui consacre une biographie, Anne-Marie Nzié, secrets d’or. En 1998 elle sort deux titres, « Beza ba dzo » et » Sarah » (en l’honneur de sa grande sœur qui n’a cessé de se sacrifier pour s’occuper d’elle dans sa maladie). La même année, la « mémé » du Cameroun est ovationnée à Angoulême en France lors du Festival des Musiques Métisses.
LA CÉSARIA ÉVORA CAMEROUNAISE
Tombée dans l’oublie, elle enchaîne les petits concerts. En 2001, la voix d’or de Cameroun est décorée chevalier de la légion d’honneur par le gouvernement français. Malgré cette reconnaissance, ses souffrances n’en sont point allégées car comme de nombreux confrères du secteur musical, la piraterie présente un réel blocus pour ses revenus car ses disque ne se vendent plus.
En 2008, sous la très haute impulsion du chef de l’État Paul Biya, un hommage national est rendu à la chanteuse pour célébrer ses soixante ans de carrière. Deux maisons lui sont construites : une à Yaoundé et une dans son village natal, avec en plus une voiture immatriculée : « la voix d’or du Cameroun ».
Elle reçoit en 2013 lors d’une de ses dernières apparitions publiques, le balafon d’honneur lors des Balafon Music Awards, après un live sur sa célèbre chanson « liberté » , reprise en cœur par le public et accompagné d’un standing ovation.
« Même avec le poids de l’âge,elle n’a jamais songé à arrêter la musique. c’était sa raison de vivre. Anne-Marie Nzié était notre Césaria Evora camerounaise et elle a montré le chemin à plusieurs artistes »; déclare le journaliste culturel Mathias Mouende Ngamo à l’annonce de son décès. Décès survenu le 24 mai 2016 âgée de 84 ans, à l’hôpital Central de Yaoundé dès suites de maladie.
On se souviendra d’Anne-Marie Nzié comme étant « la Reine Mère » du Bikutsi, forte d’un bagage musical d’une dizaine d’albums, de plus de 60 ans de carrière ainsi que d’une reconnaissance qui a dépassé les frontières de son Cameroun natal.
On se souviendra d’Anne-Marie Nzié comme à jamais « La Voix D’or du Cameroun ».